Coronavirus : quels sont les droits et obligations des employeurs et salariés ?

Vendredi 31 janvier 2020, un premier avion a atterri à Istres (Bouches-du-Rhône) avec, à son bord, 182 personnes, en grande partie des Français expatriés, rapatriées de Wuhan (Chine), foyer de l’épidémie du nouveau coronavirus. Un transport suivi, dimanche 2 février, par un second appareil de 250 personnes. Toutes ont été placées en quarantaine pour une durée de 14 jours. Comment est assimilée cette période d’isolement au regard du droit du travail ? Ces salariés auraient-ils pu refuser leur rapatriement ? Quelles mesures de prévention les entreprises doivent-elles prendre ? Réponse avec Jean-Christophe Gouret, avocat associé et directeur du département prévention santé et sécurité au travail du cabinet Barthélémy Avocats.

Les entreprises françaises doivent-elles systématiquement proposer un rapatriement à leurs salariés expatriés en Chine ?

Le point de départ de toute réflexion en la matière repose naturellement sur l’obligation de sécurité à laquelle sont tenus les employeurs et qui a conduit l’administration du travail à préciser, à l’occasion de la pandémie grippale H1N1 en 2009, que lorsque le risque est exclusivement ou principalement environnemental, comme une pandémie grippale, les employeurs sont tenus, au minimum, à une obligation de moyens (Circulaire DGT 2009/16 du 3 juillet 2009). Cette précision doit aujourd’hui être interprétée au regard de l’évolution jurisprudentielle de l’obligation de sécurité vers une obligation de prévention des risques professionnels depuis l’arrêt Air France du 25 novembre 2015 (Cass. soc., 25 novembre 2015, nº 14-24.444). Ainsi, il appartient à l’employeur de prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale de ses salariés. À ce titre, et en l’état actuel de la propagation du virus, la possible exposition à celui-ci impose à l’employeur, d’une part, de proposer son rapatriement à tout salarié vivant dans la région de Wuhan, la ville chinoise où est apparu le coronavirus (et ce en coordination avec les autorités chinoises et le consulat général de France), et, d’autre part, de prendre des mesures de prévention « draconiennes » concernant les personnels présents sur le reste du territoire chinois, comme la prolongation de la période des congés ou encore l’inter-diction des déplacements inter-provinces. À ces principes généraux, peuvent s’ajouter diverses obligations que sont susceptibles de prévoir tant le contrat d’expatriation que les accords collectifs (de groupe notamment) ou les conventions collectives.

Les salariés peuvent-ils refuser ?

Il convient à mon sens de bien distinguer la situation des salariés expatriés de celle des salariés en mission à l’étranger ou simplement détachés.

Dans le premier cas en effet, le contrat de travail français est suspendu (le salarié expatrié n’est d’ailleurs plus rattaché au régime de protection sociale français) ; rien ne peut dès lors contraindre un salarié expatrié à répondre favorablement à une offre de rapatriement de son employeur français. Cela est d’ailleurs parfaitement compréhensible s’agissant de salariés qui peuvent être établis de longue date sur place et y avoir de fortes attaches personnelles, familiales notamment.

Dans le second cas en revanche, le salarié reste sous la subordination juridique de son employeur, lequel, au titre de son obligation de sécurité, peut dès lors parfaitement décider de le rapatrier, sans que le salarié puisse s’opposer à une telle décision, et ce d’autant plus que le salarié lui-même doit veiller à sa propre sécurité ainsi qu’à celle d’autrui (C. trav., art. L.4122-1).

Un salarié peut-il refuser un voyage professionnel en Chine ?

Oui. Un salarié à qui il serait ainsi demandé de se rendre en Chine (ou plus largement dans toute région du monde qui demain serait considérée comme zone à risques) pourra refuser de partir dès lors que, conformément à l’article L. 4131-1 du Code du travail, les salariés peuvent se retirer de toute situation de travail dont ils ont un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour leur vie ou leur santé, ainsi que se soustraire de toute défectuosité qu’ils constatent dans les systèmes de protection. L’employeur ne peut contraindre un salarié qui fait usage de son droit de retrait à reprendre son activité. Aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être pratiquée à son encontre (C. trav., art. L. 4131-3). Par le passé, ce droit de retrait a pu ainsi être reconnu à des salariés en partance pour l’Angola alors en guerre civile (CA Paris, 19 décembre 1991, Briatte et autres/SA Cofras). Il convient de noter, en outre, que le bénéfice de la faute inexcusable est de droit pour le ou les salariés qui seraient victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, alors qu’eux-mêmes ou un représentant du personnel au comité social et économique avaient signalé à l’employeur le risque qui s’est matérialisé (C. trav., art. L. 4131-4).

Il faut noter plus généralement que si ces voyages ne sont pas interdits pour les voyageurs qui ne se rendraient pas à Wuhan ou dans la province de Hubei (aucune réglementation n’interdit en effet à ce jour, en France, l’envoi de salariés en Chine), ils apparaissent pour le moins déconseillés : supprimer les voyages en Chine en raison de l’épidémie de coronavirus semble bien relever du principe de prévention qui s’impose à l’employeur, y compris pour des personnes résidant sur place mais en déplacement ou en vacances hors de Chine avant le déclenchement de la crise.

Au regard du droit du travail, comment est assimilé l’isolement de 14 jours du salarié rapatrié de Chine et ne présentant pas de symptômes du coronavirus ?

Aux termes du décret nº 2020-73 du 31 janvier 2020, paru au Journal officiel le 1er février, afin de limiter la propagation de l’épidémie, les assurés qui font l’objet d’une mesure d’isolement, d’éviction ou de maintien à domicile et se trouvent dans l’impossibilité de travailler pourront bénéficier, à titre dérogatoire, au titre de cet arrêt de travail, des indemnités journalières de la Sécurité sociale (pour une durée maximale de 20 jours).

Quelle aurait été la solution en l’absence du décret ?

Une telle période ne peut être qualifiée de temps de travail effectif dans la mesure où elle ne correspond pas à une période au cours de laquelle le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles. Sans doute aurait-il été défendable de soutenir la thèse de la suspension du contrat pour cause de force majeure dès lors que les mesures d’isolement sont prononcées par arrêté préfectoral, et donc de l’absence de droit à rémunération. En pratique, pour éviter la perte de salaire, la période d’isolement aurait pu donner lieu à prise de congés, de JRTT, ou de jours épargnés sur un CET… ou à maintien de la rémunération sur décision unilatérale de l’employeur.

Plus généralement, les employeurs doivent-ils prendre des mesures de prévention en France ?

Conformément à l’article L. 4121-1 du Code du travail, il appartient à l’employeur de prendre les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs. Ces mesures comprennent : 1º Des actions de prévention des risques professionnels; 2º Des actions d’information et de formation ; 3º La mise en place d’une organisation et de moyens adaptés. En outre, l’employeur doit veiller à l’adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l’amélioration des situations existantes. À ce stade de l’épidémie, des consignes doivent être données aux salariés en voyage professionnel, comme le port de masques FFP2 dans les aéroports internationaux. Il n’est par ailleurs sans doute pas inutile de rappeler au personnel les recommandations standards pour prévenir la propagation des infections; pour toute maladie infectieuse (comme la grippe !), il est essentiel de respecter les mesures habituelles d’hygiène, notamment de se laver fréquemment les mains avec de l’eau savonneuse ou les désinfecter avec une solution hydroalcoolique. Il est aussi recommandé de veiller à l’hygiène des locaux de travail (nettoyage de surfaces pouvant être contaminées, etc.). Il faut donc s’assurer que l’entreprise dispose de suffisamment de savons, serviettes, produits de nettoyage et de décontamination des surfaces.

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